dans la poésie francophone

Donc, la littérature classique française n’a pas grand chose à dire sur le pied nu et quand elle le prend à parti c’est pour évoquer la misère des pauvres gens du peuple. La très talentueuse chanteuse Zazie a bien appris sa leçon et quand elle entonne son émouvante chanson « les pieds nus je danse » c’est encore pour mettre en scène une sans-logis.

Par chance, la langue française ne s’arrête pas aux frontières de la métropole et il existe outre mer des poètes proposant une vision plus inspirée de la chose. 2 auteurs, l’un de Guadeloupe, et l’autre Camerounais portent un regard critique sur la chaussure civilisée et chantent les louanges d’un pied libre et nu.

Qui es tu ? – édité en 1982 – Francis Bebey – Cameroun

Je suis enfant de Guinée,
Je suis fils du Mali,
Je sors du Tchad ou du fond du Bénin,
Je suis enfant d’Afrique…
Je mets un grand boubou blanc,
Et les blancs rient de me voir
Trotter les pieds nus
Dans la poussière du chemin…
Ils rient ?
Qu’ils rient bien
Quant à moi, je bats des mains
Et le grand soleil d’Afrique
S’arrête au zénith pour m’écouter
Et me regarder,
Et je chante, et je danse,
Et je chante, et je danse.
(du même artiste, il faut écouter les perles « les gaulois » et « agatha« )

 
Prière d’un petit enfant nègre – Guy Tirolien – 1943 – Guadeloupe

Seigneur, je suis très fatigué.
Je suis né fatigué.
Et j’ai beaucoup marché depuis le chant du coq
Et le morne est bien haut qui mène à leur école.

Seigneur, je ne veux plus aller à leur école,
Faites, je vous en prie, que je n’y aille plus.

Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
Où glissent les esprits que l’aube vient chasser.
Je veux aller pieds nus par les rouges sentiers
Que cuisent les flammes de midi,
Je veux dormir ma sieste au pied des lourds manguiers,
Je veux me réveiller
Lorsque là-bas mugit la sirène des blancs
Et que l’Usine
Sur l’océan des cannes
Comme un bateau ancré
Vomit dans la campagne son équipage nègre…

Seigneur, je ne veux plus aller à leur école,
Faites, je vous en prie, que je n’y aille plus.

Ils racontent qu’il faut qu’un petit nègre y aille
Pour qu’il devienne pareil
Aux messieurs de la ville
Aux messieurs comme il faut.
Mais moi, je ne veux pas
Devenir, comme ils disent,
Un monsieur de la ville,
Un monsieur comme il faut.

Je préfère flâner le long des sucreries
Où sont les sacs repus
Que gonfle un sucre brun autant que ma peau brune.
Je préfère, vers l’heure où la lune amoureuse
Parle bas à l’oreille des cocotiers penchés,
Écouter ce que dit dans la nuit
La voix cassée d’un vieux qui raconte en fumant
Les histoires de Zamba et de compère Lapin,
Et bien d’autres choses encore
Qui ne sont pas dans les livres.

Les nègres, vous le savez, n’ont que trop travaillé.
Pourquoi faut-il de plus apprendre dans des livres
Qui nous parlent de choses qui ne sont point d’ici ?

Et puis elle est vraiment trop triste leur école,
Triste comme  ces messieurs de la ville,
Ces messieurs comme il faut
Qui ne savent plus danser le soir au clair de lune
Qui ne savent plus marcher sur la chair de leurs pieds
Qui ne savent plus conter les contes aux veillées.

Seigneur, je ne veux plus aller à leur école !

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11 commentaires pour dans la poésie francophone

  1. seguy dit :

    tres belle poésie qui reflète bien le lien entre le pieds nus et la liberté , c’est cela que nos sociétés chassent depuis toujours ,un homme pieds nus est un homme libre donc un homme dangereux pour ceux qui nous rangent dans des cases et dans des cages !

  2. « même Dieu a les pieds nus, on a inventé les sandales après » – Césaria Evora – Cap Vert

  3. frederic dit :

    et oui nous somment dirigé par des gens qui ne savent plus marcher et cela depuis des centaines d années

  4. Fabien dit :

    Salut Sylvain! Tes derniers posts ont été magnifiques.
    Il me semble que c’est vraiment subversif et révolutionnaire de te montrer, de t’assumer et de te revendiquer va-nu-pieds.
    Dans nos sociétés, il semble que le pieds nu est condamné dès la Grêce Antique. Socrate le subversif allait pieds nu , mais c’était peut être plus en réaction au fait que le riche allait chaussé. Comme François d’Assise allait pieds nu, pour être comme les pauvres.

    Ca me fait penser au fétichisme du pied. Le pied est érogène dans nos sociétés (tu as vu « le journal d’une femme de chambre » de Buñuel?). Parce qu’il est sensuel, sensible. Le christianisme, (et avant la philosophie platonicienne?) a toujours voulu cacher ou résorber ce qui était sensuel, matériel. Or, une fois que nous n’avons plus eu les pieds sur terre, nous avons commencé à perdre de vue notre lien qui nous unissait à la terre….

    Plein de salutations !
    Fabien

  5. karuiashi dit :

    Ce commentaire n’est pas destiné à l’auteur de l’article avec lequel je me sens en communauté de pensée mais à certains commentaires aux envolées lyriques voire mystiques qui sentent la contrefaçon – même si par ailleurs je reconnais à tout le monde le droit de donner son avis sur la question.

    La liberté est une conception mentale propre à chacun. Il n’existe pas de liberté objective pas plus que de réalité objective. S’il suffit d’être pieds nus pour être libre et devenir subversif, ça ne tient pas à grand chose.

    Non sérieusement, le pied nu peut-être une forme de contestation des conventions sociales, comme le mawhawk des punks qui est aujourd’hui à la mode chez le minet moyen et est donc récupéré par le consumérisme, mais c’est une contestation facile et bien inoffensive.

    Ça peut être un simple plaisir sans aucune arrière-pensées politiques comme lorsqu’on est un enfant.

    Une thérapie.

    Un refus du consumérisme sans éthique qui tente de nous faire complice de l’exploitation d’autres êtres humains ailleurs pour des choses aussi futiles que des baskets – c’est mon cas. Même dans ce cas, je ne mets rien en péril surtout pas un commerce mondialisé.

    Se croire subversif parce qu’on marche ou court pieds nus, c’est juste une im-posture parce qu’il n’y a pas de danger à le faire. Certes, il y a des réactions de certaines personnes à la morale bourgeoise qui se choquent d’un rien sur le passage de mes courses mais ces gens n’ont pas le pouvoir, pas plus que moi. Je n’ai pas d’impact sur leur vie, pas plus qu’eux sur la mienne. Je les dérange 2 secondes.

    Il faut arrêter de croire que marcher ou courir pieds nus est une forme de révolution, ce n’est pas le cas. On est massivement pieds nus en Asie, en Inde, en Afrique, en Amérique du sud, dans tous les pays pauvres où une paire de Nike est juste un luxe que peu peuvent se payer. Les pieds nus sont les plus nombreux. McDougall n’a fait que redécouvrir l’eau chaude et les Occidentaux s’ennuient tellement que certains ont vu là une occasion de se rendre singulier – dans le discours du moins, parce que dans les actes, le barefoot c’est surtout porter une paire de VFF.

    Je cours pieds nus, je ne révolutionne rien, je fais juste un truc tout bête que n’importe qui peut faire. C’est un choix parce que je vis dans un pays où j’ai la liberté de faire ce genre de choix. Il n’y a pas de loi qui condamne la personne qui se ballade nu pieds.

    Se la raconter sur les forums est une chose, chacun rêve sa vie comme il veut, mais se croire un combattant de la liberté parce qu’on est ‘barefoot’ me fais doucement rigoler.

    De toute façon la ‘communauté barefoot’ en France me fait doucement rigoler – BRS en tête. Il suffit de se rendre à une animation de Christian Harberts ou à l’IBRD à Issy-Les-Moulineaux pour se rendre compte de l’imposture généralisée de cette communauté qui après avoir couru son kilomètre sur une piste en tartan se rechausse aussitôt pour le reste de la séance.

    • a Seville depuis 2 heures et deja 2 controles de police dans les rues touristiques de la medina, malgre un chapeau de minet et un petit polo noir que je mets habituellement pour le boulot. ca me rend nerveux, j abandonne et je mets des sandales pour continuer a faire le touriste tranquillement.

    • seguy frederic dit :

      Bonjour , je suis globalement d accord avec toi , le fait d être pieds nus ou pas ne change pas la face du monde et c est effectivement une pratique qui peu attirer temporairement des gens a la recherche du truc « pas comme tous le monde » mais généralement ça ne dure pas bien longtemps , par contre chacun a sa propre échelle de valeurs et pour certains marcher pieds nus sur 1 km peu relever de l exploit alors que d autres se tapent des marathon , faire parti d un blog ou d un autre c est une façon de se sentir moins seul , les gens on en général besoins de se regrouper et de s identifier , alors oui chacun y raconte ses exploits en en rajoutant un peu mais c est pas bien grave , c est dans la nature humaine ! je te trouve très sévère vis a vis de Christian Harberts , il vit sa passion de la course pieds nus en la partageant , je ne connais pas sa « clientèle » mais je ne trouve pas sa démarche ridicule !

      après devons nous faire la différence entre ceux qui ne font que courir pieds nus et ceux pour qui finalement être pieds nus est plus naturel que de porter des chaussures ?
      en ce qui me concerne je m en fou un peu

  6. Matoo dit :

    Très bien ces commentaires!
    Sylvain, puisque tu approfondis le sujet, peut-être pourrais-tu tu pencher sérieusement sur le pied dans l’érotisme, comme évoqué par Fabien, car il me semble qu’il y a pas mal à dire. Sinon, une autre question: plus on s’éloigne des tropiques, moins on trouve de va nu pieds non?

    • ça n’est pas la première fois qu’on me parle du froid, il va vraiment falloir que je fasse quelque chose là-dessus, même si tout le boulot a déjà été fait par ahcuah sur son blog. mais pour faire court, on a vu dans l’histoire de nombreux pieds nus en terre de feu, en islande, en irlande ou en écosse. et non pas par pauvreté. tout comme on voit en Afrique des pieds nus sur des sols brulants.

      concernant l’érotisme, ça va être un sacré boulot, je n’ai pas encore regardé de ce côté là, mais je sais que m’étirer la plante des pieds le lendemain d’une course pieds nus à quelque chose qui s’approche doucement du plaisir sexuel, sans le moindre doute.

      abraço grande !

  7. Alex dit :

    Sous les tropiques non plus c’est pas évident de se balader pieds nus.
    Sans aucune volonté de révolution, de rébellion, ni d’introspection, j’aime bien marcher pieds nus. Juste comme ça. Pour avoir le plaisir de sentir le sol, ses aspérités et aussi et surtout par flemme de chausser et déchausser mes sandales/tongs toute la journée. On les enlève pour conduire, on les remets à la station, on les renleve pour conduire, on les remet pour aller chez un pote, on les enlève pour pas salir le logement, on les oublie, on n’a plus de tongs, tant pis, tant mieux… C’est bien plus simple et agréable d’être pieds nu , surtout sous les tropiques pour les frileuses.
    Et bien, je fais bien rire le chalant qui ne comprend généralement absolument pas pourquoi une nana peut se balader sans honte pieds nus, signe d’un temps révolu où les gens étaient trop pauvres pour se chausser. Chacun y va de son petit commentaire, généralement positif et moqueur, voir hilare.
    Une fois, j’ai oublié mes tongs pour aller chez le kiné. Oh drame! J’ai bien cru que j’allais devoir faire l’aller retour chez moi, pour pouvoir mieux les déposer à coté du petit tapis où il me fait faire des exercices pieds nus. J’ai même eut le droit à une semi morale selon laquelle mes pieds avaient besoin de semelles relativement épaisses et que les pieds étaient mieux dans des chaussures fermées et rigides. C’est son job, je devrais l’écouter mais à 28°C…
    Une fois, j’ai oublié mes chaussures (encore) en allant au centre commercial (ok, je suis étourdis). J’ai même pas eut le temps d’aller au rayon des tongs que le vigile est arrivé en COURANT pour me dire que par « raison de sécurité » (!) je devais sortir immédiatement du magasin (dont le sol était carrelé)…
    Et, je ne vous parle même pas des gens bien intentionné qu’on rencontre en randonnée…

    Oh, Sylvain, comme je te comprends…
    C’est souvent compliqué de simplement se balader pieds nus sans autre ambition que de passer un bon moment, sans idées d’anti-ceci ou d’anti-cela, sans avoir envie de se justifier ou supporter les commentaires et moqueries des uns ou des autres…

    J’ai quelques petites questions quand même :
    – Marcher pieds nus c’est bien sympa sous les tropiques, mais qd ils fait froid? Je rejoins le questionnement des autres sur ce point.
    – Et en ville? J’ai presque abandonné , pas à causes des flics (qui s’en fiche royalement) mais des mini bouts de verre que je ne vois qu’une fois bien calé dans la plante de pied… Aurais tu 5 cm de corne?
    – Plus jeune j’ai été voir des kinés et podologues, ils ont vraiment insisté sur l’intérêt d’avoir des chaussures avec une petite bosse au niveau de la voûte plantaire qui seraient très importante pour une histoire qu’équilibre au niveau des genoux… (pieds plats = bobo?)

    Bon, j’ai un peu perdu le fil et suis partie un peu dans tous les sens avec ce commentaire de témoignages et de questions. A croire que je suis bavarde… 😉

  8. Matoo dit :

    le 2 novembre semi marathon à Corps-Nuds, you’re in?!! Réserves!

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